Lièvremont, le Domenech du rugby?
Non, pas du tout.
D’abord, parce qu’il n’y a pas, et il n’y aura jamais, de Domenech de quoi que ce soit. Ensuite, parce que Domenech faisait le mec qui acceptait ça. Il n’était pas seulement l’ennemi des journalistes en particulier et des Français en général : il se complaisait dans cette situation, il la provoquait, il la cuisinait.
Fallait-il alors considérer alors qu’il était plus intelligent que tous ? Non. Juste plus pervers que tous. Il était nul, et plutôt que de chercher à devenir bon, il est devenu un nul lucide. Volontaire. Il aurait eu le droit de jouer à l’ironique s’il avait d’abord le travail pour lequel il était payé (faire en sorte que l’équipe de France joue au ballon). Or, non. Donc, non. Pas de théâtre en conférence de presse quand tu es merdique dans ton domaine.
(Aujourd’hui que Mourinho ne gagne plus – et surtout, présente des stratégies de bourrin dans les clasico – ses provocations ne font plus rire.)
Lièvremont, qui envoie un peu plus chier les gens à chaque conférence de presse, est profondément agacé, déçu, réellement contrarié par l’attitude de certains journalistes (il a d’ailleurs, à chaque fois, l’amabilité de prendre de sincères et légitimes précautions, en refusant de critiquer l’ensemble de la profession). C'est ni pour provoquer ni pour « protéger ses joueurs » (argument Domenech). Juste parce qu’il a de plus en plus envie de leur dire ce qu’il pense – et qu’il a bien raison de penser.
Et il y a quelques jours, il a dit à un journaliste : « tu m’emmerdes ».
On appelle ça – les journalistes appellent ça – « mal communiquer ». Mais on sait bien comment ça se passe. Il y a des conférences de presse, avec des mecs dedans, hors champ, qui posent des questions (qu’on passe sous silence) et des mecs sous les projecteurs, avec des micros, qui répondent des trucs. Ensuite les télés, les journaux et les radios font leur montage et puis voilà, les gens sont contents. Quand connait-on le nom, le visage, de ceux qui emmerdent?
Et le problème, c'est l'état de suspicion généralisé auquel on est arrivé. Les journalistes font tellement chier avec des questions de merde et des caméras partout tout le temps (vestiaires, etc.), qu’on doit désormais présenter l’image la plus lisse possible, pour ne pas risquer de prendre le déferlement médiatique dans la gueule.
« Bien communiquer », c’est répondre des trucs de merde à des questions de merde.
_ Votre sentiment d’après match, coach ?
_ L’important c’était les trois points.
_ Mais tout n’a pas été parfait.
_ Il y a encore beaucoup de travail à accomplir.
Voilà, ça communique bien.
Sauf qu’évidemment les journalistes s’ennuient, en plus ils sont en compétition les uns avec les autres, et puis il faut de la matière, quand on doit pondre des infos toutes les 30 minutes – alors on cherche la merde.
Et on insiste.
On relaie partout la réponse de Lièvremont (tu m’emmerdes, etc.). La question ? La question c’était : « Pensez-vous toujours pouvoir être champion du monde ? »
Là malheureusement le ton n’y est pas, mais je peux vous dire que c’était avec l’accent du premier de la classe, du casse-couille protégé par la maîtresse, teinté de la mauvaise foi narquoise du mec qui veut faire le malin. L'accent du mec à l’école, qui quand il avait 18 demandait à tout le monde leur note, rien que pour entendre : « et toi ? » et pour répondre sa note, en ajoutant qu'il n'a même pas révisé.
La France venait de prendre 40 points dans la gueule. Lièvremont était traqué pour parler des individualités, ce qu'il avait déjà fait et qu'on lui avait reproché. Puis on lui demande s'il va être champion du monde, avec cet air.
Le pire, le plus insupportable, c’est qu’évidemment, seuls les journalistes parlent de la façon de bien ou mal communiquer, et que pas un ne va reconnaître que certains journalistes ont tout de même des attitudes de fouineurs, de rapaces.
La presse footballistique devient identique à la presse people, L’Equipe et Canal et tête. Et quand des mecs en ont un peu marre de prendre des caméras dans la gueule et de voir leur propos déformés, il râlent.
Et les journalistes traduisent, interprètent, médiatisent : « untel ne supporte pas la pression ». Il n’est venu à l’idée de personne que Lièvremont ne supportait pas la connerie ?
Les conférences de presse, « ça fait partie du métier ».
Il fut un temps où les journalistes et les joueurs entretenaient un rapport de confiance. C’était celui où on ne passait pas en boucle le moindre petit Lapsus. Où on ne faisait pas son miel des maladresses.
Epoque révolue.
Désormais le cercle est vicieux, et il fonctionne de la façon suivante : plus les journalistes pressent, plus les réponses sont lisses et évasives ; plus les réponses sont évasives plus les journalistes cherchent la merde, traquent le premier qui va craquer. Puis il dramatisent, ils enjolivent.
Et plus les réponses sont lisses. On fait attention. On communique bien.
Vous avez vu les reportages du CFC ? Plus aucune différence avec Téléfoot : des effets de caméras et de musique, l’impression de la vie et de l’art, des génériques, des indiscrétions. Puis au fond, rien. L’invité sur le plateau ne peut lui-même jamais parler plus de 30 secondes sans être coupé par Menez applaudi par un public payé pour, ou par une pub, ou un gag débile. Bonne nouvelle, Simone s'est cassé à Monaco.
On apprend plus de choses avec Paga au bord du terrain qui parle 10 secondes à un mec qu’avec le CFC qui reçoit le même joueur pendant une heure.
Eh bien Paga, quand il voit que les joueurs n’ont pas envie de parler, il n’insiste pas. Et il remercie quand on lui a dit deux mots.
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